Réinventons nos racines

Olivier Milchberg et Mohamed Alnuma
Conférence « Réinventons nos racines »
Lyon, 21 mars 2003 – Formation interrégionale
par le Centre des Musiques Traditionnelles Rhône-Alpes.

Olivier Milchberg
« Comme nous ne sommes ni conférenciers ni musicologues, nous avons décidé d’illustrer ce que nous voulons dire par la musique. Nous allons commencer par nos parcours individuels, je vais vous raconter en musique mes racines et mon parcours musical, puis Mohamed fera pareil, et nous parlerons ensuite de la rencontre.
Je vais commencer par mes racines.
(Morceau à la flûte de pan, traditionnel bolivien)
Toujours dans l’Amérique du Sud, je vais vous jouer un morceau péruvien adaptaté par un guitariste argentin.
(Morceau à la guitare « Auqui auqui »)
Ce sont un peu mes racines, liées à mon père, sud américain, qui a en fait quitté l’Argentine pour aller s’installer en Europe. Il était musicien classique, et il s’est retrouvé par hasard avec un charango dans les mains en Europe, à faire de la musique sud américaine parce qu’il était dans un petit réseau de musiciens sud américains. De fil en aiguille, la mode a pris le dessus, et il s’est retrouvé à faire le tour du monde avec son petit charango, lui qui rêvait d’être un musicien classique. Il a fait l’arrangement d’un morceau très célèbre qui s’appelle « El condor pasa », dont il a fait juste l’introduction et l’adaptation, et qui a été chanté par le duo Simon et Garfunkel, et qui a servi de locomotive à toute la mode du folklore sud américain. Moi je suis né là-dedans, on continue encore à jouer avec mon père, on enregistre surtout des disques, et on fait quelques concerts par an. Nous venons de sortir un disque qui s’appelle le dernier « El ultimo » qu’on a mis 10 ans à enregistrer. Voilà, ce sont mes racines. En même temps j’ai toujours été passionné par beaucoup d’autres traditions musicales. Je pense que mon père m’a mis un peu sur cette voie-là. Sans savoir pourquoi, je suis vraiment attiré par des musiques qui ont de fortes identités, des racines. Je suis attiré par les racines, mais en même temps je ne prétends pas vouloir rejouer les musiques comme elles sont jouées dans leurs pays d’origine, elles m’intéressent pour la passion de la rencontre. Et ensuite j’ai l’impression de m’enrichir avec ça et de redonner quelque chose de différent, qui m’appartient.
Mohamed : « tu t’es coupé de tes racines sud américaines, tu n’as jamais vécu là-bas… »
« Je ne me suis pas coupé, mais c’est une partie de mes racines. Je peux remonter un peu plus loin, en disant que mon père avait des parents juifs polonais, qui sont partis de Pologne juste avant la guerre. Mon grand-père a d’ailleurs voulu s’embarquer sur le Titanic, et il l’a raté. Il rêvait d’aller aux Etats-Unis, mais ça n’a pas pu se faire. Il s’est retrouvé en Argentine, car à cette époque-là, l’Argentine payait la moitié du billet aux immigrants, et comme lui était peintre en bâtiment et qu’il y avait besoin de main d’œuvre, il a atterri là-bas. Voilà pour mes racines.
J’ai vécu à Paris, personne n’est parfait, jusqu’à 20 ans, et j’ai décidé comme ça de m’installer sur le sommet d’une montagne dans les Hautes-Alpes. Je me suis intéressé aux racines locales. Pour montrer mes recherches en musique alpine, je vais vous jouer un morceau sur un instrument qui s’appelle un bouzouki. Celui-là est de type irlandais, c’est un instrument vraiment traditionnel dans la musique irlandaise, qui est inspiré directement du bouzouki grec. Les Irlandais, il y a je crois 60 ou 70 ans, sont tombés littéralement amoureux de cet instrument, et se le sont approprié.
Celui-là est fabriqué dans les Alpes, je ne joue pas du tout de musique irlandaise avec.
Je vais vous jouer une valse de Roussin, qui a été collectée dans un village juste à côté de chez moi.
(Morceau au bouzouki « Valse de Roussin »)
Mon parcours dans les Hautes-Alpes : j’ai rencontré des musiciens tout près des villages environnants, nous avions monté un groupe qui s’appelait Passe Montagne, puisqu’on devait passer les montagnes pour aller les uns chez les autres. On a tourné 3 ans comme ça, en collectant un peu les musiques du coin et en refaisant notre sauce. C’était un trio : moi au bouzouki, Polo Burguière au violon, passionné de musique all time des Appalaches, qu’on avait tiré un peu pour faire des rigodons et des musiques de chez nous car c’est un bon violoniste, et Bruno Sabalat à l’accordéon diatonique, qui était à l’époque branché cajun. Tout cela a fait le groupe Passe Montagne, nous avons enregistré un disque dans mon studio, animé les bals du coin, on est allé en Italie et jusqu’en Palestine, faire une belle rencontre là-bas. Je vais terminer ce clin d’œil à Passe Montagne avec la Bourrée des Asnières de Bruno Sabalat.
(Morceau au bouzouki « Bourrée des Asnières »)
J’ai appris le bouzouki sur ce répertoire local. Mon expérience avec Passe Montagne est vraiment liée à la nature et à ma vie proche de la terre. J’avais besoin quelque part d’aller trouver les racines que j’avais sous les pieds. Au bout d’un moment, j’ai eu aussi envie de voir au-delà de l’horizon. Comme j’écoutais depuis longtemps différentes musiques traditionnelles, je suis allé un peu vers l’Est. Je vais vous jouer un morceau bulgare.
(Morceau au bouzouki, traditionnel bulgare)
Un jour… je suis tombé amoureux fou d’une fille turque, et là c’en était fini de rester sur mes petites racines locales. Je suis vraiment tombé amoureux de la musique orientale. J’ai fait un voyage en Turquie qui m’a poussé à cherche un peu plus loin. J’ai découvert notamment un instrument qui s’appelle le çümbüş, surtout joué par les gitans turcs, ce n’est pas un instrument joué dans la musique classique ou savante. Il est prévu normalement pour accompagner la clarinette ou la darbouka, mais pour ma part, je ne prétends pas du tout le jouer comme les gitans turcs. C’est un instrument qui m’inspire, et je vais donc vous jouer un dernier morceau pour finir avec mes racines. »
(Morceau au çümbüş « Yo m’enamori », traditionnel judéo-espagnol)
(Morceau Chant, Oud et çümbüş « Emta ana shoufak »)

Mohamed Alnuma
Dans notre groupe Pêcheurs de Perles, il y a ces racines dont je vous ai parlé, mais il y a aussi plein d’autres choses, les apports de chaque musicien : Olivier, Mathias Autexier, qui a grandi avec les Chemirani, il a appris très jeune le zarb avec eux. Avec nous il a appris d’autres instruments, la darbouka, la rythmique du Golfe Persique, d’Irak. Il y a aussi Catherine Roy qui joue de l’accordéon, elle a une formation classique et est passionnée par les musiques klezmer.
Il y a aussi l’influence des musiques soufies dans notre musique, la poésie. Surtout un poète de Bagdad du XIIe siècle, qui s’appelle Hallaj, il a beaucoup voyagé, en Inde, en Chine, il a apporté des idées à son époque qui n’ont pas plu (maintenant encore moins je pense…), et il a été exécuté. Mais il a laissé des poèmes magnifiques. Je m’inspire de ces poèmes, je compose sur ces poèmes-là en grande partie, je suis rarement doué pour écrire quelque chose, mais ça m’arrive des fois.
On va vous chanter une chanson soufie pour terminer notre exposé.
(Morceau Chant, oud, percussion « Madad »)

Olivier Milchberg
Je m’occupe de Muance Productions dont l’activité principale est la production phonographique. J’ai la chance d’avoir un outil d’enregistrement qui depuis 12 ans s’est perfectionné, et que je mets au service des musiques traditionnelles. Il n’y a pas de lignée artistique précise, je fonctionne en tant que musicien, au gré des rencontres et des passions. Je réalise les enregistrements, participe souvent à la direction artistique ou prends en charge les arrangements, et interviens souvent en tant qu’instrumentiste. J’ai réalisé par exemple les albums de Passe Montagne, qui n’existe plus maintenant, (Bruno Sabalat a monté un groupe qui s’appelle le Loup qui danse), Hombeline, qui est une chanteuse que j’accompagne, ce sont des chants de Provence et d’Occitanie. C’était une magnifique expérience, elle est arrivée avec juste les mélodies, et je m’en suis donné à cœur joie avec mes instruments, çümbüş, bouzouki, ney, etc.
Je voulais juste terminer en parlant un peu d’une des dernières expériences, un disque qui va sortir chez Buda Musique : François Atlan a rencontré à Correns, chez Montanaro, Moneim Adwan, palestinien qui vit à Gaza. En les voyant causer tous les deux, je leur ai dit que s’ils voulaient enregistrer quelque chose, la porte était ouverte chez moi. Ils ont pris la proposition au pied de la lettre, le centre de résidence de Montanaro a financé la création, et nous avons pu lancer le projet rapidement. C’est une très belle rencontre, dans laquelle j’avais la casquette de producteur, j’avais demandé à Mohamed d’être un peu directeur artistique du côté de Moneim et de faire la traduction. Entre Moneim et Françoise, il y avait quand même une certaine rivalité artistique, donc j’avais demandé à Mohamed et à Sami Sadak d’être présents. L’enregistrement a duré trois jours. Voilà, c’est cela qui me passionne. Nous avons un autre projet avec Moneim, autour de ses compositions, avec les musiciens de Pêcheurs de Perles et d’autres musiciens qui interviendront, toujours sur le thème de la rencontre.

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